Dans ce monde,
Y'a les mystères,
Les incompris,
Les quiproquos,
Les marginaux,
Puis y'a moi.
Dans cette société,
On nous balance dans des cases. Des sortes de boîtes bien rangées et étiquetées que l'on cale dans une pièce où la lumière ronge les lettres de notre essence.
Tu seras l'illuminé. Et toi,
la petite catin. Chaque mot appuie sur l'échine de son détenteur et lui lie pieds et mains pour qu'il soit conditionné à être ainsi.
Et si toi tu ne colles à rien, alors on t'étiquettera
"Bon à rien" sur le front. Parce que tu seras inutile au monde ; car bien trop dépendant de toi-même.
Je l'ai rapidement compris. Je pense que tout ça à commencé dès que j'ai intégré l'école et que j'ai su lire. Sur les cahiers dansaient inconsciemment mes peurs et mon futur. J'ai fini par engloutir chaque syllabe soufflée par mes professeurs, pour finir en tant que bonne élève. Comme future avocate, ou médecin, ou menteuse.
Pardon, j'voulais dire,
Banquière,
Politicienne,
Journaliste.
En tout cas, pas philosophe.
Peut-être que j'ai un peu dérivé à la longue. Mais j'ai eu une sale histoire d'amour, faut dire ; la gouache s'était incrustée sous mes ongles, et j'ai fini par laisser tomber l'idée de grande fortune. Parfois, je songe à finir comme Epicure, puis après, je réalise que je n'ai ni jardin, ni argent pour aller m'acheter du bon vin.
Puis surtout, j'ai pas vraiment d'amis.
Est-ce qu'on peut considérer comme amis ces pauvres zombis aux yeux creusés par la fatigue et les néons du métro ? J'pense pas. Ils sont tous semblables aux professeurs qui ont le cul froissé par le bois des bancs de l'école ; de pauvres coquilles qui déblatèrent une logorrhée ridicule. J'suis pas en train de dire que je suis plus intelligente qu'eux. J'suis pas en train de dire que ce que je dis, moi, est pertinent.
Loin de là.
Mais moi, lorsque je n'ai rien à dire, je la ferme.
Les gens, ici ; à Paris, ils parlent pour ne rien dire. Ils agissent en ne faisant rien. Ils respirent du néant et s'inspirent de l'absence de réflexion. La jeunesse semble n'apprécier qu'un constant mimétisme exempté de réflexion par la masse.
Parfois j'ai bien envie de casser la gueule à chacun.
Mais je ne peux pas. Car
l'étiquette est là. Ma boîte est bien rangée. Il y a marqué dessus,
bonne élève, bonne amie, bon enfant. En plus petit, j'arrive à lire
connasse de soeur, mais ça, c'est presque un compliment.
Parfois j'me dis que j'aurais pu mieux faire. J'aurais pû être moi. Mon âme a sursauté de temps à autre sous forme d'encre indélébile écrasée sur mon épiderme déjà abîmé par une existence vouée à mentir. Mais je m'arrête toujours à temps ; lorsque je suis à deux doigts d'articuler la vérité. De crier au monde qui je suis vraiment, ce que j'aime vraiment, ce que je ne peux pas voir ni entendre.
Lorsque je veux encrasser mes poumons d'aveux.
Seulement, il ne sort que du lyrisme mal mâché. Il est beaucoup plus simple de souffler la symphonie que chacun veut entendre, plutôt que de brouiller les oreilles de nos proches avec une âme bafouée.
Car c'est ce que je suis.
Con-damnée à être tout sauf moi. Même ma chair me gratte tant elle ne supporte plus ce corps et ces gestes surjoués. Parce que je déteste tout ça. Je déteste le monde je déteste la ville je déteste la pollution et la suffisance. Je déteste la fausse culture, je déteste l'ivresse nocturne et l'hypocrisie diurne. Je déteste les conventions, l'avarice et par dessus tout l'ignorance. Parce que nous vivons dans une ville où chacun part prêcher la voix de bfm.tv sans jamais se soucier de la véracité.
C'est comme ça que je réalise que je ne mens pas réellement ; je suis simplement semblable à ce monde.
A ces étiquettes.
D'ailleurs, ces étiquettes...
Parfois, il en manque une.
En fait, pas parfois.
Tout le temps.
Mais je fais tout pour la brûler. Pour l'arracher et la jeter au loin. Au plus loin. Dans l'espace, sur les étoiles ou sous les mers. J'aimerais que la terre l'engloutisse et l'oublie à jamais ; parce que ce mot qui essaie de me définir me ronge tous les jours. Toutes les nuits. Lorsque je me lève lorsque je ne dors pas ; lorsque j'essaie de respirer.
La femme.
La femme et ses mains, la femme a sa voix, la femme et ses seins ; et moi qui suis là parmi tous les saints, qui essaie vainement de me persuader que rien ne réside en mon coeur. Ces battements qui s'affolent tandis qu'en mes reins naît une brûlure dégueulassement excitante. Un désir qui me fait parfois flancher dans des draps aux effluves de lilas ; mais qui me mord aussi les poignets tant j'aimerais le rejeter. Je vomis tous les soirs ces pensées et je les avale la journée pour les oublier. Pourtant, elle est là. La belle. La danseuse, la parleuse, l'aguicheuse.
Rien n'arrête ce besoin d'aimer, jusqu'à me forcer à reprendre contact avec mon opposé.
Carter ? J'avais craché dans le combiné.
J'ai besoin de te parler. J'avais avoué dans un dernier soupir. Pourtant, tout s'est évanoui une fois en face d'elle et de son besoin de me sucer le peu de norme que j'ai pu assimiler.
Mais si je l'avais appelée elle, c'est parce que je savais,
Je savais que dans sa frivolité,
Dans sa nervosité,
Et dans ses éclats non dissimulés.
Elle ne m'aurait pas jugée.
J'avais besoin de tout avouer.
Combien j'aime les silhouettes élancées,
Et les baisers passionnés.
Mais je n'ai rien fait,
Désabusée.
Ou bien, justement, si.
Abusée par le monde,
Abusée par la vie,
Abusée par ce que je ne suis pas ;
Ce que l'on voudrait de moi,
Et de ce constant désarroi.