BELGIQUE Noah elle est née dans le pays d’la bière, des frites et du chocolat. Elle est pas prise au sérieux lorsqu’on sait d’où elle vient mais la Belgique c’est son pays, c’est sa patrie. Puis ils sont quand même sympa, les p’tits belges. Elle a quitté son Bruxelles natal après la mort de sa mère. C’était trop dur pour papa, il pouvait plus gérer les souvenirs des murs et les démons douloureux qui grattaient sous leurs pieds de plombs.
PAPA Le daron s’est remarié avec une vieille conne qui doit en être à son quatrième mariage et des sales petites ordures de gosses qu’elle déteste. Parce qu’eux ils ont l’air d’être heureux, parce qu’eux ils sont trop gentils, trop parfaits, trop niais. Putain. Noah elle comprend toujours pas comment il peut être serein en tirant la vieille alors que maman résonne toujours aux coins des murs, partout où ils passent y’a toujours une trace.
MERDE Elle dit un tas de vulgarités, elle se tient pas correctement, elle est chancelante et pas très drôle. Elle est pas assez grosse, elle a pas assez de seins, elle est tarée et complètement inconsciente en sautant sur les toits ou en provoquant plus dur qu’elle. Elle parle fort, elle rigole fort mais c’est pas beau parce que c’est pas sincère. Puis elle réfléchit jamais vraiment avant de faire un truc, pourtant elle est pas conne. Elle est vraiment pas conne avec ses dix doigts quand elle repeint les murs cramoisis des couleurs de sa bombe ou quand elle gratte les cordes de sa guitare jusqu’à s’en couper le bout des doigts, jusqu’à s’en fracasser la voix. Noah elle fait partie des extrêmes, des hors-normes, des pas normaux, des junkies qui font peur aux gosses et aux vieilles bourges. Noah elle montre son majeur pour parler et elle gueule pour s’révolter. Noah elle dit merde tout le temps, ça reflète sa vie puis ça comble le vide. Merde.
MAMAN Son nom c’était Deborah mais tout le monde l’appelait Deb. Elle était photographe mais passait la plupart de son temps à cuisiner des trucs démentiels, le genre qui éclate les papilles en mille tellement c’est bon. Ouais, elle était cool sa mère, à Noah. Mais elle était malade, une sale maladie qui te tue à petit feu avant de t’abattre d’un coup sec. Les tumeurs cérébrales, ça sauve personne. Même pas quelqu’un qu’on pensait immortel. Alors elle est morte en paix, emportant la Noah telle que tout le monde connaissait dans son sillage. Sa mort a été l’élément déclencheur de la rébellion d’la gamine. De son mal-être et de ses colères monstrueuses.
LA VIERGE MARIE Noah elle fait la nana cool qui connait tout d’la vie. Qui a tout essayé, qui n’a jamais rien regretté. Noah elle fait la grande mais c’est qu’une gamine. Noah elle fait la courageuse mais elle flippe. Elle flippe de voir le temps passer aux côtés de quelqu’un qui l’attache à une laisse, qui lui laisse rien faire. Elle y arrive pas, elle a beau essayer, elle arrive pas à s’accrocher aux gens et les aimer suffisamment pour rester avec. Elle arrive pas à s’aimer elle même pour se dire qu’elle le mérite, cet amour, qu’elle peut y arriver. Et puis qu’c’est pas compliqué de baiser. Et qu’c’est pas la fin du monde si c’est un gros con ou une belle salope. Pourtant c’est plus fort qu’elle, elle préfère la solitude aux caresses maladroites qui font peur à son sale petit coeur.
D'LA MUSIQUE EN COULEUR Elle a terminé l’école parce qu’elle est pas aussi conne qu’on le pense, mais c’est pas ça qui lui plaît. Les études, les trucs trop gros qu’elle assumera jamais. La fac ou elle ira jamais et la p’tite vie tranquille qu’elle aura pas. Parce que tout ça c’est pas Noah. Elle, c’est la vie sur les toits et le métal qui gronde dans ses écouteurs, c’est les cordes de sa gratte qui se plient sous ses doigts rageurs parce qu’elle a la haine aux bords des lèvres quand elle hurle. Parce qu’elle a le sang dans les oreilles quand elle joue. Puis y’a ses doigts tachés de peinture chaque fois qu’elle rentre, ça dérape aux bords d’ses lèvres et ça pue les beaux quartiers fracassés par sa marque. Elle graphe partout et tout le temps, la bombe dans la poche et l’arrogance qui lui arrache la gueule.
FRÉROT César, c’est le petit con qui sait pas passer deux heures sans faire une connerie. Et tel un grand frère aux techniques d’apprentissage douteuses, c’est lui qui a initié Noah aux conneries de petite frappe. Elle a fumé son premier joint avec ce tocard, elle a dealé pour lui, elle a volé quand il avait besoin de fric et elle s’est même fait tabassée à la solde de ce vaurien qui l’emmenait toujours trop loin dans la merde. Mais c’est lui qui leur a fracassé la gueule plus tard, c’est lui qui l’a prise sous son aile quand elle avait plus personne. C’est lui qui était là, qui a toujours été là après la mort de maman. C’est lui, et seulement lui qui a séché ses larmes et qui veillait, tous les soirs, à son chevet alors qu’elle se tapait des angoisses nocturnes. Et pour toutes ces petites attention merdiques, elle lui donnerait sa vie et même plus si elle en était capable. Mais c'connard l'a lâchée. Aujourd'hui il est en taule et il en a encore pour un bon bout d'temps. Aujourd'hui il est plus là pour la rassurer quand elle sait pas ou aller, il est plus là pour calmer ses colères quand elle pète les plombs. Il est plus là et elle lui pardonnera pas.
LES MAUVAISES GRAINES C’est tous ses frères, toutes ses soeurs de galère. C’est les junkies et les sans abris, les potes qui l’ont aidée et qu’elle a aidé en retour. C’est les amis de son frère et les gens qui se prennent pour tel. Elle passe sa vie dans la rue et ça forge des amitiés, des clans et des emmerdes aussi. Mais y’a rien de plus beau que deux potes de la rue, que deux vauriens qui gueulent fort et qui lancent des pétards dans la cours d’un lycée. Noah, elle a beau aimé la solitude, elle changerait les moments partagés entre potes pour rien au monde. Le genre de bails calés autour d’un joint et d’une sono trop forte, autour de conneries et d’architecture du monde. Leur monde à eux. Son monde à elle. Mais les mauvaises graines c’était Noah et puis c’était lui. Le sale con qui s’est tiré sans elle quand elle avait b’soin de lui. Le type que personne voulait connaître à part elle. Pourtant il lui avait promis, ils allaient conquérir le monde. Ils allaient changer les choses. Il était juste trop con et elle aveuglée par l’amour qu’elle lui portait, admiration malsaine transformée en fantasme sur ce fils de chien. Si c’était de l’amour ça, on l’y reprendra plus.
PANAME, MA BELLE Paris c’est les beaux quartiers, c’est la tour Eiffel et les lumières des Champs-Elysées, c’est les artistes. Mais Paname c’est aussi la galère, c’est la grisaille et l’vent qui t’arrache la gueule. C’est la misère parfois, c’est les regards méprisants des connards. Paris c’est beau, Paris c’est joli. Mais Paris c’est pas facile, Paris c’est les gamins qui rient et c’est les gamins qui pleurent. Paris quand t’es différent, c’est les vieux qui t’font la morale et les bourgeois qui s’foutent de ta sale gueule d’après-guerre. Mais Paris, elle l’aime un peu. Elle y fera pas sa vie mais ça lui empêche pas de fouler le bitume sans avoir le dégoût au bord des dents. Et sur ce foutu sol, elle en fait des pas. Elle y dort même quelques fois quand les bancs sont pas libres et qu’elle a pas d’argent pour s’taper une nuit d’hôtel. Et quand le rue est trop dure, elle rentre comme un chiot chez papa, la fierté dans le cul et l’sourire cassé. Juste le temps d’une nuit, d’une douche et d’un putain de vrai repas.
TROP VITE, TROP LOIN Elle est hyperactive, elle est tarée et lunatique. Noah c’est une pile électrique qui sait pas tenir en place, qui foire toujours parce qu’elle doit s’mettre à bouger, à sortir tout ce qu’elle contient de trop en son sein, creusé dans son épiderme à l’encre indélébile. Alors elle foule les ruelles et les toits, elle se calme avec la beuh mais c’est jamais suffisant. Faut toujours qu’elle fasse un nouveau truc, quelque chose de plus fou, de plus démentiel, de plus mortel. Elle vole toujours plus haut que ce qu’elle ne devrait, brisant les limites de ses propres frontières. Y’a qu’à cet instant qu’elle se sent vivre. Qu’elle sait qu’elle existe vraiment. Les sensations fortes c’est sa drogue la plus dure, la plus mortelle. Et Noah, elle en consomme trop. Elle en est devenue dangereuse.
LE SKATE C'EST COOL Parce qu’elle a pas de caisse ni de scoot ni même de vélo et qu’elle a la flemme, elle utilise un vieux skateboard tuné aux graphes et aux casse-dédi des p’tits cons avec qui elle traîne. Puis le skate ça fait stylé quand elle s’accroche aux voitures pour faire comme Marty dans Retour vers le Futur, mais ça l’est moins quand elle se casse la gueule parce qu’elle a pas vu l’tournant. Malgré les coups durs, cette foutue planche est toujours debout et Noah elle l’abandonnera pas tant qu'les roues sont toujours là.
MERDE, J'ME DETESTE Son plus grand malheur, c’est son dégoût d’elle-même. Noah, elle se hait. Elle se déteste à vouloir en crever. Parce qu’elle fait du mal aux gens et qu’elle arrive pas à être normale. Parce qu’elle a l’impression d’être folle et de servir à rien. Qu’ce monde lui correspond pas depuis que maman est plus là. Elle a aucun repère, aucun pilier. C’est une électron libre qui a fini par se perdre. Elle se déteste mais elle peut pas s’tuer. Parce que la mort c’est flippant, puis parce qu’elle aime trop sentir les choses. Le vent dans la gueule, la violence dans les poings, le son de la guitare et la putain d’odeur de la bouffe. Elle veut pas non plus les abandonner, ses potes de galère et puis son frère. Il dirait quoi, lui, si elle savait comme elle se hait. Et maman elle dirait quoi. Mais ils sont plus là. Y’a plus personne maintenant. Elle est bien seule, Noah.