hec"
Salut mon coeur." Il s'étire en s'extrayant des draps de soie, ne cherchant même pas à étouffer son bâillement, encore moins à éviter de découvrir complètement la jeune femme nue encore endormie à ses cotés. Il ne se fait pas prier non plus pour entourer sa taille de son bras et couvrir son dos de baisers. Une petite amie de longue date ? Un rencard qui se concluait bien ? Ni l'un ni l'autre. A vrai dire, il n'avait pas la moindre idée de son nom. Peut-être que c'était une étudiante de HEC, ou une pote de pote, ou une parfaite inconnue. Tout ça lui est complètement égal. Les filles qu'il fréquente ne s'en formalisent pas, sûrement parce qu'il se contente de les couvrir de surnoms affectueux avant de les assurer qu'il les rappellerait sans jamais prendre leur numéro de téléphone ou donner le sien. "
Il y a du café dans la cuisine ma belle, je te rejoins." Il lui sourit de plus belle, de ce sourire d'ange dont il a le secret, avant de l'embrasser sur le coin des lèvres. Une première année sûrement, vu sa tête ravie de tant de petites attentions et de son regard dégoulinant d'admiration. Se faire un membre du BDE à la première beuverie de l'année, elle pouvait s'estimer heureuse d'être l'élue de la soirée. Même si il ne gardait qu'un souvenir très approximatif et flou de leur nuit ensemble, se disant que ça n'avait pas du être si mal que ça en l'observant marcher en sous-vêtements jusqu'à la porte de la chambre. Enfin seul, Raphael attrape son portable, parcourt les dernières publications sur les réseaux sociaux, vérifiant qu'aucune photo ne le mette trop dans l'embarras. Loupé pour ce soir. On le voit en gros plan, les seins de cette fille dans les mains, l'air hagard, clairement sonné par trop de vodka, et un sourire con sur les lèvres, comme un gosse le jour de Noel. Le jeune homme se passe une main sur le visage. Ca allait lui retomber dessus et salement. Pas la peine de dire ouf que le téléphone dernier cri se met à vibrer, laissant apparaître une photo de lui et Daniel, lors de leur dernière fête à Dubai, leur visage coincé entre les fesses de deux danseuses du ventre. Il ne peut retenir un rire en décrochant. "
Ca se dit être mon meilleur pote et ça sabote mes contacts à la première occas ?" "
Au moins je t'ai pas laissé pour aller me taper une meuf. Je croyais que les potes passaient avant les filles ! T'aurais au moins pu m'aider à en serrer une quoi." Raph échappe un nouveau rire en passant une main dans ses cheveux. Daniel avait toujours été plus intelligent que lui, tête de classe depuis leurs années prépa. Mais Raph avait toujours eu l'avantage d'être le beau gosse de leur duo, celui qui ramène les filles et les fait suffisamment boire pour les rendre moins farouches. Pas très orthodoxe comme méthode, à croire que les remords et la bonne conduite, tout ça leur passait au dessus de la tête. "
Ferme-la tu veux, tu me donnes plus mal au crâne que ma gueule de bois." Depuis la porte ouverte, la fille, toujours inconnue, l'appelle d'un ton guilleret particulièrement agaçant à ses oreilles. Il aurait bien envie de lui répondre de mettre une aspirine dans son café et de rassembler ses affaires mais il se contente de serrer des dents. C'est tellement plus simple de ne pas les ramener chez soi. De chez elles, il n'y a qu'à partir en douce ou prétexter un rendez-vous urgent. Mais mettre quelqu'un à la porte, c'était bien plus compliqué. "
Putain me dis pas qu'elle est encore chez toi ! T'es tellement dans la merde !" Le fou rire de son meilleur ami lui arrache une grimace. "
C'est ça marre toi faux frère. J'te rappelle." Il s'apprête à se lever, nu comme un vers, cherchant son caleçon des yeux. Mais le téléphone ne lui laisse pas de répit. "
Bonjour monsieur Delaunay. Votre père vous attend à déjeuner pour 12h30 au Lasserre. Souhaitez-vous que je vous envoie une voiture ?" Et merde, il avait complètement zappé ce détail. Et à 11h30 passé, il avait tout juste le temps de virer cette fille, de prendre une douche et de sauter dans sa voiture neuve pour traverser la ville. Au pas de course, il regagne le salon, un peignoir blanc fermé autour de sa taille. La petite blonde rayonne en lui servant son café avant de venir enrouler ses bras autour de son cou et tenter de lui voler un baiser. "
Ecoute mon coeur, je déteste faire ça mais va falloir que t'y ailles. Je dois déjeuner avec mon père. Et crois-moi que si je pouvais choisir, je resterai avec toi et qu'on passerait toute la journée sous les draps. Mais là va vraiment falloir que tu partes. Je t'appelle un taxi ok ?" Il lui adresse un sourire faussement désolé, l'embrassant avec fougue pour mieux faire passer la pilule. De toute façon, il ne lui laisse pas vraiment le choix, composant déjà le numéro d'une ligne de taxi pendant qu'elle ramasse sa robe minuscule à la hâte. Un dernier baiser sur le pas de la porte et il peut enfin souffler, débarrasser du boulet.
Si pour certains, les restaurants gastronomiques étaient destinés aux événements importants, pour le patriarche Delaunay, ce n'était rien d'autre qu'une cantine où il passait tous ses déjeuners, qu'ils soient professionnels ou personnels. Un coup d'oeil à sa montre lui indique qu'il a déjà dix minutes de retard, dix minutes de trop. Son père est déjà attablé, un verre de whisky vingt ans d'âge à la main, face à une des larges fenêtres. "
Tu es en retard Raphael." "
Excuse-moi j'avais un projet à finir et ..." Mais il le coupe d'un geste autoritaire de la main. "
Epargne-moi ton baratin. Tu peux bien mener la vie que tu veux mais être à l'heure à un rendez-vous quel qu'il soit c'est ..." "
La base d'une carrière. Je sais, je ne recommencerai pas." "
J'y compte bien. Je n'ai aucune envie de renouveler les événements de l'année passée et de te couper l'accès à ton compte privé. Que j'approvisionne généreusement, au cas où tu l'aurais oublié." Le jeune homme ne peut s'empêcher de baisser des yeux. Face à n'importe qui d'autre, il aurait tenu tête, peut-être même qu'il se serait laissé emporter. Mais face à son père, il redevenait un petit garçon qu'on sermonne et qui cède à la menace d'une punition. Bien sûr il n'y avait pas que ça. Obtenir un encouragement de la part de son père ou même une approbation était extrêmement difficile. La seule fois où il avait eu le droit à une tape dans le dos avait été sa lettre d'admission à HEC, mais depuis, chaque faux pas semblait détruire tout ce qu'il faisait de bien en parallèle. Les bonnes notes, les stages plus que concluants, rien n'avait vraiment d'importance s'il n'arrivait pas à être parfait en tout point, ce à quoi il avait fini par renoncer il y a un an, au point de se faire couper les vivres. Il n'avait pas été à plaindre, s'en sortant plus que confortablement avec son loyer toujours payé et les sorties payées par Daniel ou d'autres amis baignant dans la même opulence qu'eux. Les entrées arrivent, choisies sûrement depuis l'arrivée de son père dans le restaurant, à croire que l'avis de son fils importait peu et que toutes les décisions qu'il prendrait à sa place seraient les meilleures, même si ça ne concernait qu'un choix de plat. "
J'ai parlé à Edward de ton départ à venir pour Berkeley. Il va s'arranger pour te trouver un logement décent à proximité de la fac." Raphael ouvre la bouche pour protester mais s'arrête immédiatement. Il aurait aimé vivre sur le campus avec les autres étudiants, intégrer une fraternité, ce genre de choses. Mais il était inutile de se battre là-dessus, et face à un père comme lui, il fallait choisir ses combats avec minutie. "
Sa fille y fait également ses études. Il serait bien que tu prennes contact avec elle avant ton départ." Autrement dit, tu le fais point. Le jeune homme relève les yeux de son assiette, à laquelle il a à peine touché. Les coquilles St-Jacques ne font pas bon ménage avec la gueule de bois. "
Tu parles de Scarlett ? Mais on s'est pas parlé depuis qu'on est gosse." Il s'en rappelait très bien, c'était à une Garden Party et elle lui avait renversé son jus de groseille sur ce costume trois pièces dont il était si fier, le forçant à passer toute la journée dans une tenue de rechange trop décontractée pour l'événement. Leurs relations s'étaient arrêtées avant même d'avoir commencé. "
Exactement. Je suis certain que tu vas l'apprécier. Elle est devenue une très belle jeune femme." Il hoche vaguement de la tête, sentant venir le plan foireux à des kilomètres à la ronde. "
Tu devrais l'inviter à dîner à ton arrivée à San Francisco. C'est une fille intelligente et brillante, vous vous entendrez à merveille." "
Est-ce que t'es en train de me pousser à me taper la fille d'un de tes collaborateurs ?" Vu le regard que lui adresse son père, ce n'était clairement pas la bonne façon de présenter les choses. "
Surveille ton langage Raphael. Scarlett ferait une partenaire de vie idéale, je t'encourage à considérer cette option avec le plus grand intérêt. Il est temps pour toi d'envisager ton avenir autrement qu'à travers des histoires sans lendemain avec ces filles que tu ramènes de tes soirées étudiantes. Et ne nie pas, je ne suis pas un idiot Raphael." Ca ressemblait donc à ça, de se voir se refermer la cage dorée sur soi, sans avoir son mot à dire.
berkeley"
Putain, matte la blonde qui vient de se pointer. Faut que tu me rencardes avec Raph. Sois un frère merde." L'haleine alcoolisée de Daniel lui souffle les mots à l'oreille et il ne peut s'empêcher de se marrer en détaillant la plastique de rêve de la fille. Une poupée barbie, le sourire malicieux et les yeux de panthère en supplément, avec des jambes tellement interminables qu'il n'aurait pas assez d'une nuit pour les détailler. "
Chacun pour sa gueule mon vieux, désolé." "
T'es vraiment pas un pote Raphael Delaunay. J'te raye de mon testament !" Daniel se resserre un verre, riant seul de sa blague avant de tenter de draguer une américaine venue s'asseoir à la table voisine. Depuis deux mois qu'ils étaient arrivés à Berkeley en échange universitaire, ils n'avaient pas ralenti une seconde leur rythme de fêtes. Son père lui rappelait fréquemment qu'il devait un dîner à cette fille, Scarlett, mais il repoussait l'échéance, prétextant avoir trop de travail. Ce qui n'était pas totalement faux. Mais il n'avait aucune envie de marcher dans cette combine et de tomber dans un mariage arrangé par deux collaborateurs désireux de voir leurs progénitures se reproduire entre familles influentes. Il s'approche avec assurance de la blonde, lui décochant son fameux sourire. Et à sa grande surprise, elle ne le quitte pas des yeux. Au contraire, à mesure qu'il avance, le sourire de la fille augmente. Comme si elle le reconnaissait. Son sourire à lui s'éteint un court instant quand elle lui fait un grand signe de la main, s'échappant de son groupe de copines pour trottiner jusqu'à lui, perchée sur ses talons vertigineux. Elle dépose un baiser sur chacune de ses joues avec entrain. "
Raphael ! Comment vas-tu ?" Son fort accent rend presque incompréhensible son français hésitant. Il adresse un regard à son meilleur ami par-dessus son épaule, tout aussi stupéfait qu'il ne l'est. "
Raphael, c'est moi ! Scarlett !" Elle sourit, ouvrant les bras comme dans l'attente d'une accolade amicale qu'on réserve aux vieux copains d'enfance perdus de vue. Mais il reste immobile, la bouche ouverte digne d'un cartoon, entendant la voix de Daniel s'exclamer un "Putain de merde" sonore. "
Scarlett ? Mais euh ... C'est cool de te voir ici." Il s'approche pour lui offrir enfin l'accolade qu'elle attend, ne pouvant associer l'image de cette petite fille maladroite à celle de cette nana, digne de figurer en première page d'un catalogue de Victoria Secret. Peut-être que finalement, son père n'avait pas tord. Ils allaient s'entendre à merveille.
le legacy"
T'as la nana la plus sexy de la création qui t'attend sagement chez toi et toi tu préfères te taper tous les mannequins de la Fashion Week à la place ? Putain frère, si j'étais toi, j'me casserai d'ici et j'irais m'occuper comme il se doit de ma fiancée." Raphael laisse échapper un rire gras alcoolisé en attrapant un verre de champagne au passage. La brune sur ses genoux, russe ou polonaise, rit à son tour mais il est pratiquement certain qu'elle n'a pas la moindre idée de ce qu'ils racontent. "
Parle autrement de ma future femme tu veux ? Sois un témoin digne de ce nom merde, ton rôle c'est pas de me soutenir dans mes dernières semaines de liberté ?" "
Comme si t'allais te calmer avec une bague au doigt." Daniel avale son verre d'un coup et ça aurait pu passer pour une plaisanterie si il n'avait pas pris un air si grave. Depuis qu'ils bossaient ensemble, les fêtes n'avaient pas diminué. Mais l'arrivée de Scarlett à Paris avait changé quelque chose entre eux. Comme si son meilleur ami lui en voulait de se comporter comme un parfait connard maintenant, alors que ça ne semblait pas lui poser le moindre problème pendant les nombreux mois où leur relation s'était faite à distance. Et Raphael avait vraiment du mal à cerner le problème. Scarlett semblait plutôt bien vivre la situation de son point de vue. Elle était tout aussi libre que lui, même si ils n'en avaient pas parlé directement. Tant qu'aucun d'eux ne mettait leur réputation et leur image en péril par ses actes, quel mal y avait-il à profiter de la vie ? Sa future épouse savait pertinemment où elle mettait les pieds quand il l'avait demandé en mariage. Libre à elle de dire non si ça ne lui convenait pas, ce qu'elle n'avait pas fait. Peut-être qu'il lui avait promis de faire plus attention à elle quand elle serait à Paris, de lui consacrer du temps, de la couvrir de bonheur. Et qu'on le croit ou non, c'était bien ce qu'il s'employait à faire, dès qu'ils étaient ensemble. Mais une fois à l'extérieur, les règles d'un couple standard semblaient devenir très floues à ses yeux. "
On se fait une ligne ?" La drogue, ça n'était pas spécialement son truc, mais de temps en temps, quand les soirées le permettaient, il ne crachait pas dessus. Ca apportait toujours un peu de piment. Mais Daniel ne sort pas de sa bouderie pour autant. "
Sérieux tu fais la gueule là ? T'as perdu tes couilles en allant pisser ou quoi ?" Il rit, envoyant un coup de coude dans l'épaule de son ami, qui se contente de se relever, l'air perdu dans ses pensées. "
J'suis claqué. Je vais rentrer, on se voit demain." Il était vraiment bizarre, ça ne lui ressemblait pas. Toujours le premier pour un rail, toujours le dernier sur la piste. Mais Raph n'insiste pas. Les choses finiront par se tasser, comme toujours. Et ce n'était pas la distraction qui manquait. Il repousse néanmoins la mannequin en devenir, prenant le temps de réfléchir à ses options. Peut-être qu'il devrait aussi rentrer, rejoindre Scarlett dans leur lit. Mais il avait beau avoir une affection sincère pour lui, il ne pouvait s'empêcher de se rappeler qu'elle représentait beaucoup d'engagements et que leur mariage semblait réjouir un peu trop leurs pères respectifs pour qu'il estime avoir pris cette décision de son propre chef. La manipulation, un don qui semblait courir dans les gênes familiaux. Mais finalement, il secoue la tête, avalant d'un trait sa coupe de champagne. Si cette serveuse tatouée de la boîte lui résistait toujours, il serait encore temps d'aller faire du pied à celle du resto.