La démarche mal assurée, il rentre dans un bureau énorme accessoirisé d'une table au fond et une armoire remplie de livres de psychologie. On l'invite à s'assoir, il se demande si les gens qui passent sur le trottoir peuvent le voir à travers cette espèce de vieil autocollant censé amener intimité dans la pièce. Il pose sa veste sur le dossier de la chaise et s'assoit, et c'est là qu'il remarque que la psy va lui faire face, mais pas de l'autre côté du bureau. Elle n'est pas comme les autres. Ce n'est pas la première fois. L'anxiété, ça le connaît. Elle a un certain âge. Plus de cinquante, pour sûr. Elle sort un nouveau dossier et sort une feuille d'informations. Les réponses à ses questions viennent s'inscrire dans des cases, de la plus administrative à la plus personnelle. Et puis, elle s'arrête. Elle pose son stylo, son dossier, sa feuille à côté d'elle et le fixe un moment, attendant qu'il dévellope, qu'il explique ce qu'il fiche là alors qu'elle scrute les minutes qui passent en bas à droite sur l'écran de son ordinateur. Une minute. Deux minutes. Son estomac se tort. Il sent son pouls s'animer à nouveau. Le souffle court. Ca le reprend. Il décline tous les symptômes un à un. Elle écoute, sans même noter quoi que ce soit. La sentence tombe. Des troubles paniques. Une ordonnance pour des anxiolytiques se glisse dans sa main ainsi qu'un rendez-vous pour la semaine prochaine. Il sort sans savoir s'il doit être satisfait ou inquiet de cette réception impersonnelle.
Le même cirque le vendredi suivant. Il l'a choisi parce qu'elle était à deux pas du bar, afin de ne pas crapahuter dans tout Paris et manquer trop longtemps le boulot. Mais il regrette de ne pas avoir demandé à son entourage des conseils. A nouveau elle le regarde, sans une feuille ni un stylo, et attend qu'il parle. Il fait l'inventaire de la pièce. Une plante certainement fausse trône près de la fenêtre. Un lit sur le mur opposé, ce cliché des films où le patient s'allonge pour mieux exprimer ses troubles. Pourquoi elle le fait s'assoir lui? A quoi sert le lit? "Ca va... Moyen." Les mots sont saccadés. Non ça ne va pas. Au bout d'une semaine, il sait que les cachets ne font pas encore effet. Il n'a pas encore décidé quand il parlerait du vrai trouble, de la raison pour laquelle la panique s'est installée. Impossible de se livrer devant un ou une inconnue, qu'elle soit diplômée pour l'écouter ou non. "Ca a recommencé. Un peu. Je prends de l'homéopathie." Elle confirme l'action lente des cachets sans proposer d'augmenter la dose. Il faut encore attendre. Il se demande à nouveau pourquoi elle possède un lit dans son bureau si elle n'écoute même pas ses patients.
"Un jour, elle est partie. Je ne sais pas ce qui s'est passé." Il serre la mâchoire. Ca fait un mois qu'il vient ici. La cinquième consultation. Il a commencé comme ça. Sans même commencer par son traditionnel ça va bien. Parce que, honnêtement, ça ne va pas bien. Oui les cachets ont bien aidé niveau panique. Mais son coeur est toujours brisé et il a besoin qu'on l'aide à remettre les morceaux ensemble, si toutefois c'est possible. Elle n'a pas l'air surprise, en tout cas elle ne laisse rien paraître. "Expliquez-moi." Il soupire, pas sûr de pouvoir y arriver. Comment expliquer quelque chose qu'on ne comprend pas soi-même? "J'ai toujours été quelqu'un d'assez anxieux, quand j'étais petit par exemple. J'avais du mal avec les autres enfants. Mais je n'avais jamais eu de crises de panique." Elle fronce les sourcils. Une voix souffle à son oreille, pars pars, ça sert à rien. "Ca a commencé quand elle est partie. On était censé aller dîner. Elle avait emménagé chez moi, je travaillais quand elle se préparait j'imagine. Je suis rentré après ma journée, y avait plus rien qui soit à Estelle, même si elle avait pas beaucoup d'affaires. J'ai trouvé un mot sur lit. Elle disait "désolée." c'est tout. Elle est partie." Ca ne sert plus à rien de serrer la mâchoire. Les larmes ont déjà trouver leur chemin le long de ses joues, écrasant de leur poids chaque mot qui essaient de se frayer un chemin à travers ses lèvres. "Vous pensez que c'est ça qui a causé vos troubles paniques?" Elle ignore son chagrin. Elle reste de marbre, comme un robot qui n'est même pas là pour vous guider mais plutôt sucer votre compte en banque jusqu'à la moelle. Il continue à décrire la femme de son ancienne vie, celle qu'il voulait épouser, celle pour qui il avait déjà acheté une bague, celle pour qui il aurait fait n'importe quoi. "On va s'arrêter là." Le couperet est glacial, fait briller sa lame acérée alors qu'elle insère sa carte vitale puis sa carte bleue dans la fente.