(DOCTEUR JEKYLL) La froideur de la mort, l’élégance d’un noble. Le sadisme du monstre, sans l’ombre de la rage dans les prunelles. La façade qu’il présente au monde, l’homme distingué qu’on présenterai aux parents pour dîner. L’art des apparences maîtrisée, la politesse aux lèvres et les belles manières sous ses costumes trop bien taillées, pour mieux camoufler le cœur pourri et l’immonde sanglant.
(MISTER HYDE) Le revers de la médaille, la laideur souffreteuse de l’intérieur. Le monstre tapi dans l’ombre, la bête qui grogne au fond de l’estomac, les griffes acérées dans les chairs. Litres de carmin sur ses mains, conscience balayée dans un coin. Le besoin de faire mal de marquer les peaux pâles, de lacérer la chair. Il s’abreuve de leurs cris, dévore la peur dans leurs pupilles. Dès que la cravate se défait, que le costume tombe, il n’y a plus que l’animal qui prend sans jamais demander, détruit pour son seul plaisir.
(LES MAINS SALES) Isidor est un homme de l’ombre, le marionnettiste derrière le rideau, manipulant ses pantins sans jamais dévoiler ses mains. Jamais sur le devant de la scène, visage éclairé des lumières, galvanisant la foule de ses charmes, jamais à aboyer les ordres sur les soldats de bas étage. Animal reclus, peu enclin au contact, Isidor c’est le murmure pernicieux à l’oreille, c’est la voix qui pousse au vice, c’est la main qui attire dans les abysses.
(LE CORBEAU) Le surnom. L’oiseau de mauvais augure. Plumage couleur ténèbres pour mieux dissimuler les éclaboussures carmin. Les bas-fonds murmurent que ses apparitions coïncident avec le trépas. Trop de derniers souffles étouffés entre ses longs doigts. La légende voudrait que la famille du défunt se voient trouver une plume noire. Ne vous fiez pas à ses apparences inoffensives, l’oiseau n’a besoin que de quelques secondes pour vous crever l’œil de son bec acéré.
(LE LION) Enfance corsée dans le froid soviétique. Perspectives aussi mornes que la toundra qui s’étend derrière l’horizon. Isidor ne voulait pas terminer paysan comme ses parents, encore moins ouvrier comme le voulait le gouvernement, une autre fourmi parmi tant d’autres. L’ambition dans le sang, prêt à tout pour s’en sortir, quitte à se rendre utiles pour les méchants. Rien de bien glorieux pour commencer, trop sale et malsain pour en parler. Il a su se glisser au plus près des hauts placés des bas-fonds, des créatures sans foi ni loi, mais surtout aucune morale. D’objet il est devenu compagnon digne d’être emporté à travers le continent, jusqu’à se faire confident et même conseiller. Lorsque le vieux lion rendit l’âme, c’est l’ami de longue date, le presque frère qui reprend le trône du royaume des ténèbres. Oreille plus qu’attentive, laissant Isidor à un pas du pouvoir, comme il l’a toujours voulu.
(LE CYGNE) Elle est la Rose à son Jack. La couleur à son pinceau, le sourire à ses lèvres. Elle lui a tout appris des manières des belles gens, de la fourchette à utiliser jusqu’à corriger son accent. Ils s’aimaient, comme s’aime la jeunesse folle, passion enflammée trop vite consumée. Ils se seraient mariés, enfuis tous les deux, pour vivre ailleurs, moins riches mais toujours heureux. Seulement, Rose est tombée malade, de pas grand-chose devenu trois fois rien, un petit amas de cellules chaotiques, qui a tout envahi. Rose ne voulait pas mourir flétrie de son cancer, fleur fanée d’un cadavre sans l’ombre d’un cheveu sur le crâne, alors Jack l’a étouffé avec son oreiller. Fauchée trop tôt avec tout ce qu’il restait de bon dans son amant.
(LE PAON) L’œil qui s’attarde sur tout ce qui est beau. Le talent qui manque cruellement aux mains bonnes que pour tuer. Les collections qui parent la demeure qui prend parfois des allures de musée. Les aventures parfois, à travers les galeries, ou juste les rues pour repérer une perle rare. Les pass à l’année pour les grands musées de la ville lumière, cœur des artistes à travers les beaux siècles. Parfois l’amour de l’art déborde sur les vices, les poupées toujours plus belles et fragiles qu’il souille de ses désirs, détruit dans ses draps.
(LE VAUTOUR) Il est la figure dans l’ombre de l’ombre. Terré dans les ténèbres si profondes, que peu le voient véritablement. Omniprésence invisible. Tantôt employé, tantôt confident, parfois même ami. Les prunelles impassibles du Majordome qui en a trop vu. Trop de secrets damnant entrevus dans les années de service. Le seul à en savoir assez pour détruire Isidor. Passé maître dans l’art délicat de faire disparaître un macchabée. Il n’y a que son silence qui est tombeau. Quelques bruits courent que le corbeau aurait lui-même arraché ses cordes vocales avant de l’employer.
(LE CHATON) Gamin ramassé dans la rue. Vagabond cueilli au détour d’un trottoir. Les garçons paumés, sans un toit où se réfugier, y’en a pleins les rues sales de Paris. Pourquoi lui et pas un autre ? Pourquoi lui avoir ouvert ses portes, pourquoi avoir conté ses sombres secrets. Peut-être qu’il a vu la noirceur, au-delà des cheveux de jais. L’appétit sanguinaire d’un tueur à un autre. Peut-être qu’il s’est reconnu dans l’adolescent terrible. Peut-être qu’il pourrait être ce fils qu’il n’a jamais conçu. Peut-être que le regard vicié aime ses formes juvéniles. L’acte inconsidéré dans la vie bien calculée, l’erreur imprévisible dans les plans parfaits. Arslan est là parfois, à arpenter les longs corridors au parfum de mort, gamin sale en décalage avec le faste de sa grande demeure. Même s’ils se disputent, même s’ils ne se comprennent pas parfois, parce qu’Arslan est trop jeune, parce qu’Arslan est trop fougueux, il y a ce fossé entre eux qu’aucun n’est prêt ni à creuser ni à combler. La mort paisible et belle, la mort violente et laide. Deux bêtes qui s’attirent, se complètent et se déchirent.
(LE CABOT) Animal errant qu’on a jeté entre ses griffes acérés. Agneau sacrificiel exposé sur son autel. Chair à canon, soldat de plomb sous sa commande. Son nouveau jouet à abîmer, casser, jeter. Peu importe le nombre d’ecchymoses sur la peau blafarde, de cicatrices séparant les chairs, le clébard docile revient toujours gratter à la porte de son maître. Loyauté sans faille dans ses prunelles, implorant toujours plus de cruauté. Comme s’il cherchait le pardon à travers la douleur, l’absolution dans la souffrance, la rédemption dans la soumission. La laisse serrée autour du cou pour mordre les chairs lorsqu’il la tire. Le piège s’est refermé, la cage bien installée. Une certaine volonté de possession, attisé par la brutalité du maître. Le grand monstre promène toujours le petit monstre sans sa muselière.